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Le 3bet de SB contre un steal du BU

La small blinde est de loin la position la plus difficile à jouer. Pas celle où on perd le plus (on ne part qu’avec un handicap de -50bb/100, contre les -100bb/100 de la BB), mais la plus difficile. Contre un joueur agressif au bouton, qui a une tendance nette à attaquer à de hautes fréquences, on a longtemps appris qu’il ne fallait pas trop call sans avoir la position ni la certitude de fermer l’action. C’est pourquoi, le 3bet est généralement privilégié, même si ça serait trop simplifier de ne résumer la défense de SB qu’à ce move.

Beaucoup de joueurs de différents niveaux (et plusieurs de mes élèves) l’ont compris partiellement et se défendent avec des fréquences mal choisies. 

Prenons un exemple classique pour illustrer mon propos : une main de tournoi normale, avec antes (équivalentes à 1bb ici), le bouton vol les blindes à hauteur de 2.2bb pour voler les 2.5bb au milieu. Tout le monde est 40bb deep et la SB décide de 3bet à hauteur de 9bb.

Indépendamment des cartes :

– le bouton risque 2.2bb pour en gagner 2.5bb

– la SB risque 8.5bb (les 0.5 investis ne comptent pas) pour en gagner 4.7bb

– si le bouton voulait aller à tapis, il risquerait donc 37.8bb pour en gagner 13.2bb

La première chose qu’on peut déduire de ça, c’est que même avec 0% d’equity (scénario crash test), le bouton aurait besoin de seulement 2.2/(2.2+2.5) = 46.8% de fold equity combinée sur la SB et la BB. Etant donné qu’il aura dans tous les cas deux cartes en main et qu’il jouera le coup en position si un des joueurs call et ne 3bet pas, c’est en réalité moins que ça. En tournois et notamment sur les plus petits buy-in, il est assez courant de rencontrer des spots dans lesquels on cumule facilement l’equity nécessaire pour gagner de l’argent avec any two cards. 

La seconde chose, c’est que la SB aurait quant à elle besoin de 8.5/(8.5+4.7)= 64.4% de fold equity. Dans la mesure où il existe des spots où le bouton va call et non pas shove, là encore on pourra réaliser l’equity de nos mains et de ce fait avoir besoin de moins que ça. Typiquement, on pourrait trouver énormément de situations où le bouton abuse de sa position et se retrouve avec une proportion de main qui vont fold trop importante. 

Prenons par exemple un adversaire qui attaque 55% de ses boutons (graph 1) et fold tout sauf les 14% des meilleures mains (graph 2). La fold equity de la SB serait donc de ~75% (soit un gain sans regarder ses cartes de (75x+4.7-25*8.5) = 140bb/100 !)

 

 

Le problème arrive en revanche quand le bouton réalise que la SB 3bet à des fréquences anormales et décide de 4bet all-in pour 40bb total

Les blocs à ces stacksizes obligent le bouton à aller à tapis en cas de 4bet, et donc l’obliger à prendre un spot où le risque reward a l’air a priori assez mauvais. La différence c’est que bien que le bouton aille et à tapis pour 37.8bb et que techniquement il “risque son tapis”, il peut encore gagner un certain pourcentage du temps, son equity en cas de call n’est jamais si mauvaise.

Prenons un cas extrême : le bouton estime que la SB paierait un 4bet all-in à tapis avec AT+, 88+, soit environ 8% des mains. Il reshove 72o et se fait payer. Le pot fait 82bb et il va le gagner 23.7% du temps (on est quand même bien crush), soit une perte sèche de 37,8-82*0.237 = -18.37bb. Autrement dit, se faire payer nous coûte environ la moitié de notre stack en moyenne, c’est à dire en comptant les fois où on gagne et les fois où on perd. 

Par contre pour chaque fois où l’adversaire fold, on reprend les 2.5bb du pot, les 8.5bb ajoutés par l’adversaire et nos 2.2bb (qui ne nous appartiennent plus à ce moment du coup), soit un gain de +13.2bb. Il suffirait donc de 18.37/(18.37+13.2) = 58.2% de fold equity pour rendre le coup profitable. Il suffit que le 4bet passe 3 fois sur 5 pour que reshove 72o soit positif.

Différents facteurs feront varier l’equity du joueur au bouton:

-La profondeur et les sizings choisis

-Le % de 3bet

-Le % de mains qui ont 3bet et qui peuvent payer un tapis (ou call 4bet oop le cas échéant)

-L’equity de la range de 4bet shove du bouton contre la range de call 4bet de la SB

L’idée générale à retenir est que la grande quantité d’argent mort au milieu comparativement aux stacks effectifs peut permettre un bouton attentif de potentiellement et rapidement exploiter un adversaire en SB qui aurait 3bet à une trop haute fréquence. 

A noter par ailleurs que si la SB veut 3bet/call des mains plus marginales pour améliorer son taux de call au 4bet, le bouton troquera de la fold equity contre de l’equity et aura plus de chance de gagner quand il sera payé. 

Parlons maintenant de la range de 3bet de SB. Comme on vient de le voir, il faut clairement éviter d’avoir une trop grande quantité de bluff contre un adversaire compétent (même si ça reste une bonne adaptation contre un adversaire qui ouvre trop de mains et en fold également trop). En fonction de la profondeur, dépasser 40 ou 50% de bluff peut bien souvent mener à des situations où le bouton aura besoin d’assez peu de fold equity pour rendre un push profitable. Les cas les plus extrêmes se trouveront dans les situations où les l’argent mort représentera une partie importante des stacks en jeu. C’est une considération majeure du jeu 30-40bb deep.

Prenons un exemple d’une range de 3bet en SB de 24%, que je rencontre souvent chez mes élèves (graph 3) : 

Ici le joueur en SB a mélangé pêle-mêle la range de 3bet pour value naturelle (99+, AJ+), un certain nombre de 3bet pour value un peu plus mergés (A8s-ATs, ATo-A9o, 88, KTs+, KQo), des bluffs assez naturels en grand nombre (petits as suités, suited connectors) et d’autres bluffs un peu plus marginaux (one gappers, Ax offsuits, broadway offsuits, Kx suités, etc.). Il en résulte que la SB se met à 3bet presque une fois sur 4 et le bouton peut rapidement se mettre à se questionner la pérennité d’une range aussi large. 

Mettons que le bouton décide de reshove A5s,qui a le mérite de bloquer une partie significative de la range de call adversaire tout en assurant une equity minimale. On est toujours 40bb deep dans cet exemple. La SB se trouvera donc avec 31 blindes à ajouter dans un pot qui en fera 82. Elle doit donc avoir au moins 37.8% d’equity contre la range de reshove qu’elle estime que son adversaire a.

Scénario 1 : la SB estime la range de BU à 40% des mains (très très large) et doit donc payer avec TOUTE sa range de 3bet, même 78s, parce qu’on aura toujours la cote pour compléter contre une range aussi large. Ici le bouton aura une fold equity de 0% et une EVwcalled de 46% avec A5s et l’argent mort lui permet de breakeven le coup même quand il est en bluff puisqu’on est déjà quasi en flip contre la range qui nous call. Il gagnera donc de l’argent avec toutes ses grosses mains

Scénario 2 : la SB estime la range de shove du BU à 8% des mains (un mix de bluffs et de value) et n’aura assez d’equity qu’avec la moitié des mains pour pouvoir payer. Maintenant A5s n’a plus que 37.3% en cas de call, résultant à une perte de -8bb en cas de call, mais qui sera plus que compensée par les 13,2bb en cas de fold de la SB.

Scénario 3 : la SB a très mal lu le bouton et l’estime incapable de bluffer. Elle estime sa range de shove à top 4% et ne paye elle-même que les mains qui ont au moins 37.8% contre cette range, soit 20% de sa range de 3bet. Evidemment A5s serait crush dans ce scénario, avec seulement 31.7% d’equity quand payé, résultant à une perte de -12.5bb en cas de call. Mais ça sera bien sûr extrêmement profitable avec 80% des situations où le bouton gagnera 13.2bb.

Ce qu’il faudra donc retenir en guise de conclusion, c’est de faire très attention au ratio fold/non-fold quand on décide de 3bet un joueur compétent au bouton depuis la SB. Et bien sûr à l’inverse, repérez les adversaires qui vont trop 3bet depuis la SB pour leur revenir dessus plus souvent. 

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